L’attentat du 29 juin 2007 contre Guillaume Soro à Bouaké n’a jamais livré ses coupables. Mais il a révélé l’architecture réelle du pouvoir.
Ce jour-là, l’État semblait réunifié, mais l’attaque a démontré que les armes, elles, n’avaient jamais changé de camp véritablement.
Qu’un premier ministre soit ciblé dans sa propre zone de contrôle prouve que la légitimité politique restait très relative.
Soro venait entériner un processus de paix fragile, mais pour certains, cette paix signifiait déjà trahison ou reddition organisée.
Pour les rebelles radicaux, il était passé de leader à homme du système, sans avoir obtenu justice ou réparations.
Pour le pouvoir en place, il restait un ancien chef de guerre à surveiller, un allié par obligation temporaire.
Personne n’avait donc intérêt à sa survie politique : ni certains frères d’armes, ni certains membres du gouvernement civil.
L’attentat devient alors un miroir : on y voit ce que l’on veut, selon ses loyautés ou ses calculs.
L’absence d’enquête sérieuse n’est pas une erreur technique : c’est un choix politique, utile à tous ceux qui craignent la vérité.
L’hypothèse d’un attentat auto-orchestré est sans preuve, mais sa persistance dit quelque chose du climat de duplicité de cette époque.
Soro, figure d’une génération armée puis institutionnelle, cristallise les contradictions de la transition ivoirienne post-crise entre paix négociée et paix imposée.
À Bouaké, ce jour-là, ce n’est pas seulement Soro qui a failli mourir, mais l’idée même d’une sortie de crise.
L’attentat a gelé la confiance, même chez les modérés, car si un Premier ministre est visé, personne n’est intouchable.
Aujourd’hui, Guillaume Soro est en exil, jugé par l’État qu’il a jadis défendu, puis combattu, puis rejoint, puis quitté.
Il affirme être victime d’une chasse politique, mais son silence sur certains épisodes clés alimente aussi le soupçon persistant.
Sa trajectoire reflète une réalité dure : en Côte d’Ivoire, les alliances sont temporaires, les loyautés mouvantes, la mémoire non partagée.
Le 29 juin 2007, c’est la date où tout aurait dû basculer vers la paix — ou vers la vérité.
Mais au lieu de cela, on a eu le déni collectif, l’oubli organisé, le confort du flou politique durable.
Dix-huit ans plus tard, personne n’a intérêt à rouvrir le dossier de Bouaké, car personne n’en sortirait totalement indemne.
Ce silence est une stratégie d’État, une manière d’éviter de dire que les ennemis d’hier ont fait système ensemble.
Bouaké n’est donc pas un mystère accidentel, mais un symptôme structurel : celui d’un pouvoir issu du conflit, incapable d’introspection.
Et Soro, en exil, reste à la fois victime présumée, survivant stratégique, et peut-être porteur de secrets que nul n’ose interroger.
AK
photo: dr
POUVOIRS MAGAZINE
