Pourquoi pas une Côte d’Ivoire… ivoirienne ? Entre mimétisme stérile et audace de l’innovation locale

3 semaines

« Notre vision est de faire de la Côte d’Ivoire une Norvège africaine, un modèle de gouvernance transparente et durable des ressources extractives. La rigueur acquise à Harvard a nourri cette ambition. »

Dixit Mamadou Sangafowa Coulibaly, ministre de l’Énergie et des Mines.

De prime abord, l’ambition séduit. Elle trace une trajectoire claire, portée par un référentiel reconnu. Mais dans un pays où les filières scientifiques s’effondrent dans l’indifférence générale, ce rêve d’Oslo semble déconnecté. Car pendant que Sangafowa Coulibaly convoque Harvard, le professeur Saliou Touré alerte sur la disparition des vocations locales en mathématiques. Deux récits se croisent, mais ne se rejoignent pas.

Deux récits, une fracture

D’un côté, une élite formée à l’étranger, convaincue que l’importation de modèles éprouvés peut accélérer le progrès. De l’autre, une voix nationale qui rappelle qu’aucun développement durable ne se construit sans école solide, ni recherche enracinée.
Faut-il vraiment choisir entre Oslo et Yamoussoukro ? Entre Harvard et l’INP-HB ? Non. L’un sans l’autre conduit à une impasse.

Pendant ce temps…

Pendant que Sangafowa Coulibaly promet une « Norvège africaine », les filières scientifiques se vident. Les jeunes désertent les laboratoires. Les chercheurs s’épuisent. Les mathématiques deviennent la grande oubliée des politiques publiques.
Dans le silence assourdissant des buzz et des notifications, le numérique gagne les esprits… sans nourrir les intelligences.

Souveraineté de façade

Peut-on espérer valoriser nos ressources minières sans ingénieurs formés, sans techniciens qualifiés ? À quoi bon vanter les gisements si la matière grise fait défaut pour les transformer ?
Tant que les écoles polytechniques ne seront pas revalorisées, tant que les filières techniques seront perçues comme des voies de relégation, notre souveraineté restera théorique.

Le mirage de la transparence

La Norvège repose sur une institution forte : la confiance. Là-bas, chaque couronne (ndlr : la monnaie nationale) issue du pétrole est tracée, débattue, redistribuée.
Ici, la défiance domine. La Société nationale de pétrole prend des airs de boîte noire. Les contrats miniers échappent souvent à l’évaluation citoyenne.
Comment bâtir un modèle inspiré de la redevabilité, quand la transparence reste l’exception ?

Le vrai talon d’Achille

La Norvège consacre plus de 6 % de son PIB à l’éducation. Elle adapte la formation à ses besoins économiques.
En Côte d’Ivoire, l’investissement dans l’éducation plafonne ; les programmes stagnent depuis l’indépendance, et les sciences restent marginales.
La robotique, l’intelligence artificielle, les énergies vertes brillent par leur absence dans les manuels.
Chaque année, nous produisons des diplômés mal arrimés aux réalités. Une trajectoire plus proche de l’impasse que d’Oslo.

Et pourtant…

Rien n’est perdu. Le capital humain existe. Le génie local ne demande qu’à s’exprimer.
Ce qu’il manque, c’est une volonté claire de miser sur nos propres forces.
Une Harvard à Yamoussoukro, une Silicon Valley à Korhogo, une Oslo à Grand-Bassam : cela relève moins du rêve que d’un choix politique assumé.

Trois urgences

En attendant le passage en mode turbo, trois urgences s’imposent :

  1. Réformer les programmes scolaires pour les aligner sur les compétences du XXIe siècle, en lien avec les réalités économiques et sociales du pays.

  2. Investir massivement dans la recherche, notamment en mathématiques, en sciences appliquées et en technologies émergentes.

  3. Créer un fonds souverain ivoirien, véritable levier d’investissement collectif, transparent et contrôlé par des organes indépendants (tout le monde n’est pas corrompu chez nous !).

Vers une Côte d’Ivoire… ivoirienne ?

L’ambition de faire de la Côte d’Ivoire une « Norvège africaine » a le mérite de fixer un cap.
C’est un débat digne d’intérêt, qui pose une problématique essentielle :
Pourquoi ne pas commencer par puiser en nous-mêmes les ressorts de notre propre transformation ?
Le développement durable ne s’importe pas. Il s’enracine. Il se bâtit à partir des réalités locales.

Le jour où un ministre de la République sera aussi fier de sa formation à l’INP-HB de Yamoussoukro qu’à Harvard, nous aurons franchi un pas décisif.
Non vers la Norvège. Mais vers notre propre avenir.

ETAUNET

photo:dr

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