21 février, journée internationale de la langue maternelle: le professeur Jérémie Kouadio explique

3 mois

KOUADIO N’Guessan Jérémie est la figure majeure des langues maternelles. Il a assurément marqué l’histoire de la recherche linguistique en Côte d’Ivoire

Aujourd’hui est la journée internationale de la langue maternelle. Quel sens accordez-vous  à cette célébration ?

Cette célébration a une valeur de rappel importante. Il s’agit de rappeler aux pays et aux locuteurs des langues maternelles l’importance de ces langues. Et leur devoir de les préserver et de les développer. Mais à vrai dire cette célébration n’a pas la même portée dans tous les pays. Je pense qu’il n’est nul besoin de rappeler aux peuples coréens, pakistanais, vietnamien, etc. l’importance de leurs langues maternelles. Eux qui en ont fait des outils prioritaires de leur développement économique, social et culturel.

Je crois que  les principaux destinataires des messages de cette célébration, ce sont les pays africains au Sud du Sahara. Qui n’ont pas compris et admis que leurs langues pouvaient être d’une quelconque utilité sur le chemin de leur développement. Erreur de gawa ! diront nos jeunes nouchiphones.  On peut leur rappeler simplement qu’aucun pays ne s’est encore développé avec uniquement la langue et la culture d’autrui.

Pour ce qui est de notre pays, beaucoup de choses ont été réalisées dans le sens de la connaissance de nos langues. Et de leur capacité à prendre en charge une part de notre modernité. Mais chaque fois que la question est posée, on oppose le problème de leur nombre.  Et lorsque des fois nous faisons la démonstration que malgré leur diversité de surface, ces langues procèdent d’une même matrice (comme les peuples qui les parlent). Et que promouvoir une langue par aire ethnoculturelle à côté du français résoudrait notre problème, on oppose le problème du coût. Cela devient un cercle vicieux.

En quoi devrait consister cette célébration ?

Il faut effectivement changer le mode de célébration de cette journée qui, jusque-là, consiste à faire des discours. Une exposition confidentielle d’ouvrages et une ou deux conférences. Il me semble que, si l’on veut donner de la visibilité à cette journée dédiée aux langues maternelles, on devait s’y prendre autrement. On pourrait délocalise la cérémonie dans une région du pays. Je prends un exemple : tout le monde sait qu’une région comme la région du Poro est une région culturellement riche.

L’on pourrait y délocaliser la cérémonie avec un contenu varié. Il y aurait des conférences sur les langues et les expériences d’alphabétisation et de préscolarisation. Également, un concours des meilleurs discours en langues nationales. Un concours des principales danses et des mets culinaires de la région, tout cela sanctionné par des prix attractifs, etc, etc. L’année suivante, on choisit une autre région…

Comment peut-on faire pour résister devant l’urbanisation et la langue des réseaux sociaux, cet outil qui semble avoir pris un coup ?

Effectivement, il s’agit-là d’une difficulté objective. Je voudrais dire qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre les langues maternelles nationales et les TIC et autres réseaux sociaux. Il y a pas mal d’initiatives sur la toile et on a par des sites comme « le baoulé en ligne », « le sénoufo en ligne », etc. Mais tout cela relève de choix politique et de l’orientation que l’on veut donner à la vie culturelle d’un pays. Tout est question de besoin et de centre d’intérêt. Imaginez un seul instant (cela peut paraître utopique aujourd’hui, mais à titre d’hypothèse) que l’Erat décide d’instaurer à l’examen de l’entrée en sixième et au BPC une épreuve obligatoire dans l’une des quatre principales langues du pays, vous pensez bien que cela susciterait l’intérêt des parents.

Ce que je peux dire, c’est que la disparition à terme de toutes ces langues avec les cultures qu’elles véhiculent serait une catastrophe. Et priverait le futur citoyen ivoirien d’une part importante de son être !

Interview réalisée par

AK

photo:dr

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