Burkina Faso Côte d’Ivoire: on joue avec le feu

6 heures

Les relations entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, deux pays voisins d’Afrique de l’Ouest, ont toujours été empreintes de complexités.

A cause des divergences historiques et idéologiques.
La récente crise politique au Burkina Faso, et les accusations réciproques entre les deux pays concernant des tentatives de déstabilisation, s’inscrivent dans un cadre de tensions. Géopolitiques et sécuritaires, elles remontent à plusieurs décennies.
Pour comprendre cette situation, il est nécessaire d’analyser les racines historiques, les divergences idéologiques, ainsi que les enjeux actuels de sécurité qui lient ces deux pays frères mais souvent en désaccord.

1. Les rapports historiques : héritage de la révolution Sankariste

L’héritage du capitaine Thomas Sankara, leader révolutionnaire du Burkina Faso de 1983 à 1987, a façonné une grande partie de la perception politique du Burkina Faso. Tant à l’échelle régionale qu’internationale. Sankara prônait une politique d’indépendance vis-à-vis des puissances occidentales et une transformation radicale des structures sociales et économiques de son pays. Une approche souvent en décalage avec celle de ses voisins, notamment la Côte d’Ivoire.

Sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny, la Côte d’Ivoire incarnait une idéologie pro-occidentale et libérale, en opposition aux idéaux révolutionnaires et panafricanistes de Sankara. Cette divergence a jeté les bases d’une rivalité politique, où la Côte d’Ivoire a souvent été perçue comme un pôle de stabilité conservatrice, en contraste avec le Burkina Faso, vu comme un laboratoire d’expérimentation politique et sociale. Bien que la mort de Sankara ait mis fin à cette période révolutionnaire, ses idéaux continuent de hanter les dynamiques internes du Burkina Faso et ses relations avec ses voisins.

2. Le régime Traoré : renouveau ou prolongement des tensions ?

L’accession au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso, après plusieurs coups d’État successifs, a ravivé une certaine méfiance dans la région. Traoré, bien que jeune et relativement nouveau sur la scène politique, semble incarner un retour à un nationalisme militaire, prônant la souveraineté contre les ingérences étrangères, notamment face aux menaces djihadistes qui sévissent au Sahel. Cette posture renforce les clivages idéologiques avec des pays comme la Côte d’Ivoire, qui maintient une approche plus diplomatique et dépendante des relations internationales pour assurer sa sécurité.

L’accusation portée contre la Côte d’Ivoire d’avoir servi de base arrière pour déstabiliser le Burkina Faso s’inscrit dans un contexte où les deux pays sont confrontés à des enjeux de sécurité transfrontalière. Le Burkina Faso, en lutte contre des groupes armés terroristes, pourrait percevoir la stabilité relative de la Côte d’Ivoire comme une opportunité pour certains éléments hostiles à tenter de l’affaiblir. D’un autre côté, la Côte d’Ivoire, par la voix de ses dirigeants, pourrait considérer le Burkina Faso comme une menace potentielle, notamment si des forces radicales venaient à s’étendre au-delà de leurs frontières.

3. Manipulations et jeux d’influence régionales

Les accusations réciproques entre les régimes burkinabé et ivoirien, concernant des tentatives de déstabilisation, semblent également être un reflet des jeux d’influence et de pouvoir au sein de la région ouest-africaine. Le Burkina Faso, sous Traoré, adopte une posture de défiance non seulement envers les puissances extérieures, mais aussi envers certains voisins perçus comme étant alignés avec les intérêts occidentaux, dont la Côte d’Ivoire.

D’autre part, la Côte d’Ivoire, sous la présidence d’Alassane Ouattara, poursuit une politique de modernisation et de stabilité économique, en renforçant ses alliances régionales et internationales, notamment avec la France et les États-Unis. Cette orientation fait du pays un acteur clé de la sous-région, mais peut également l’exposer à des tensions avec des voisins cherchant à s’affranchir de ces influences.

4. Les enjeux sécuritaires et géopolitiques actuels

Le principal point de friction entre les deux pays reste la gestion des menaces terroristes dans le Sahel. Le Burkina Faso, en première ligne dans la lutte contre les groupes djihadistes, accuse souvent ses voisins de ne pas en faire assez pour soutenir cette lutte, alors que les conséquences des attaques transfrontalières se font sentir dans toute la région. La Côte d’Ivoire, qui a également été la cible d’attaques djihadistes (comme celle de Grand-Bassam en 2016), s’efforce de protéger ses frontières et d’éviter que la violence ne se propage à l’intérieur de ses territoires.

L’accusation que la Côte d’Ivoire servirait de base arrière pour déstabiliser le Burkina pourrait refléter une crainte réelle d’une ingérence régionale, ou au contraire, une tentative de la part du régime burkinabé de détourner l’attention de ses propres difficultés internes. De son côté, l’accusation par la Côte d’Ivoire que le Burkina Faso cherche à la déstabiliser pourrait être perçue comme une réponse à la montée de l’instabilité dans la région, qui pourrait menacer son propre modèle de développement et de sécurité.

 Un équilibre fragile

Les relations entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire sont loin d’être simples. Bien qu’ils partagent une frontière et une histoire commune, les divergences idéologiques. Notamment héritées de la période Sankariste, continuent de jeter une ombre sur leurs interactions. Les accusations réciproques de déstabilisation ne font qu’exacerber cette méfiance latente, dans un contexte régional marqué par l’insécurité et les enjeux géopolitiques. Pour l’avenir, la stabilité entre ces deux pays dépendra de leur capacité à dépasser ces différends historiques et idéologiques, tout en mettant en place une coopération sécuritaire et économique qui répond aux défis communs auxquels ils font face.

Chaque mouvement stratégique, chaque accusation mutuelle, ressemble à un jeu dangereux, où chaque acteur pourrait être brûlé par les conséquences imprévues de ses actions.

Pour des nations comme le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, déjà fragilisées par des défis sécuritaires et des pressions internes, ce genre de jeu devient d’autant plus périlleux.

En s’accusant mutuellement de déstabilisation, les deux pays mettent en jeu non seulement leurs relations diplomatiques, mais aussi leur avenir régional. Dans ce contexte, “jouer avec le feu” pourrait entraîner des conséquences désastreuses : l’embrasement d’une crise régionale, l’aggravation de l’instabilité, ou l’escalade vers des conflits ouverts.

Comme dans toute situation où l’on joue avec le feu, il y a un moment où le contrôle échappe à ceux qui croyaient le maîtriser.

JULIEN BOUABRE

photo: dr

POUVOIRS MAGAZINE

OPINIONS

DU MEME SUJET

Burkina Faso : Capitaine Traoré fait arrêter Sankara

Son nom est Sankara et pour s’être inquiété et avoir douté de

Boukary Kaboré ne dira plus : il se saoule

Le commandant du Bataillon d’Intervention Aéroporté (BIA), sous la révolution, le colonel