Véronique Olmi: ” 20 mille enfants ukrainiens sont déportés en Russie, ça nous concerne”

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Dans “Le Courage des innocents”, l’écrivaine autrice d’une quinzaine de romans. Et de près d’une dizaine de pièces de théâtre, cofondatrice du festival théâtral “Le pari des femmes”. Multiprimée et traduite dans près de 20 langues fait partager les combats de Ben pour les orphelins d’Ukraine

Pourquoi l’enfance joue-t-elle un rôle aussi important pour l’écrivain que vous êtes ?

L’enfance, c’est l’avenir, y compris le nôtre, à nous, les adultes qui portons notre enfance en nous. Nous sommes projetés vers un devenir. Quand on sacrifie des générations entières, comme en France, où des enfants demandent à être protégés par une aide concrète. Aide sociale, familiale et juridique, c’est à nous-mêmes qu’on fait du mal. Nous sommes dans une sorte de fatalité paresseuse à dire qu’on ne peut rien y faire.

Et à décider que certains enfants ne font pas partie de la communauté des hommes. Quand je marche dans la rue et que je vois des jeunes sur les trottoirs. Et que je sais qu’un sur quatre vient de l’aide sociale à l’enfance, même si je sais et que je ne dis rien, je suis complice. Je n’ai pas envie d’être complice. J’ai envie d’écrire sur ce qui m’empêche de dormir.

Votre personnage, Ben, va découvrir cette réalité en allant chercher son petit frère. Comment cela l’affecte-t-il ?

Ben est dans une quête intime, personnelle, familiale. Et il va découvrir l’étendue de cette douleur d’une enfance laissée sur le bas-côté. C’est une sorte de révélation d’une innocence sacrifiée qui nous concerne directement. L’innocence des enfants est symbolique de l’innocence perdue de l’humanité.

Ben est un jeune activiste. Que représente-t-il dans votre roman ?

Au début du livre, Ben est une boule de feu : il a 23 ans, c’est un jeune activiste altermondialiste, non violent et charismatique. Le roman avance comme lui : vite, court, avec des chocs successifs. Ben apprend en étant veilleur de nuit dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance. J’aime ce mot “veilleur” parce qu’il veille, même plus tard, en Ukraine. Il incarne la bonté, une qualité dont on parle peu aujourd’hui. Sa bonté et sa présence sont ses plus grandes forces. Il est hors-la-loi parce qu’il lutte pour la justice.

Votre livre aborde aussi la dure réalité des enfants majeurs issus de l’aide sociale à l’enfance. Pourquoi ce choix ?

Quand un enfant atteint sa majorité, il n’est plus sous la tutelle de l’institution. Certains ont des contrats jeunes majeurs, mais c’est rare. Nos enfants protégés ne le sont plus. Pourquoi les enfants placés le seraient-ils ? Quand un petit de 4 ans a déjà été placé cinq fois, comment peut-il se construire ? Le livre part de cette douleur. Ben va jusqu’en Ukraine, dans la quintessence de l’inhumanité, avec les enfants déportés en Russie.

Vous parlez de Ben qui part en Ukraine. Pourquoi cette guerre en Ukraine dans votre roman ?

Entre la première et la deuxième partie, il y a une ellipse de dix ans. Ben est quelqu’un de libre, qui suit son instinct. À plus de 30 ans, il a créé une association pour les enfants. Pourquoi l’Ukraine ? Parce qu’elle nous concerne. Il y a au moins 20 000 enfants ukrainiens déportés en Russie, c’est un scandale ! Le livre évoque les trois premiers mois de l’occupation de Kherson. Les enfants sont enlevés des foyers, orphelinats, hôpitaux, et colonies de vacances, tout est filmé par les médias russes.

Vous évoquez également la déportation des enfants ukrainiens vers la Russie. Quel est l’impact de cette guerre sur ces enfants ?

C’est une guerre contre l’avenir de l’Ukraine. À leur arrivée en Russie, ces enfants changent d’identité, ils sont adoptés ou envoyés dans des camps militaires de rééducation. Ils sont devenus des butins de guerre. Les associations qui essaient de les rapatrier le font avec difficulté. Le retour est compliqué, car les enfants ont été manipulés. Ce rapt restera un trauma à vie.

Le personnage de Ben semble être prêt à tout sacrifier pour les autres. Comment décririez-vous cette dimension de sacrifice chez lui ?

Ben est un personnage christique. Il reste connecté à Anna, son grand amour, à son frère, et aux enfants dont il est responsable en France. En sauvant une vie, il sauve l’humanité. Il débarque en Ukraine pour exfiltrer des enfants. Il est prêt à sacrifier une partie de lui-même pour pouvoir sauver d’autres personnes.

Retranscrits par

H.L

photo: dr

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