Véronique Tadjo: « 2025, j’ai peur. On n’a pas encore crevé l’abcès »

3 mois

Réflexion sur les Conséquences de la Guerre à Travers le Dernier Livre de Véronique Tadjo

Dans son dernier ouvrage intitulé « Je remercie la nuit, » publié aux Éditions Mémoire d’encrier, Véronique Tadjo nous plonge dans les méandres de la crise politique ivoirienne. Celle qui a bouleversé le pays entre 2010 et 2011. Ce livre, fruit de longues recherches et d’un travail minutieux d’élagage, se présente comme une invitation à la réflexion profonde sur les conséquences d’un conflit. Lequel, bien que passé, continue de marquer les esprits et de façonner les réalités d’un peuple meurtri.

L’autrice, bien que témoignant d’un engagement indéniable dans son exploration des affres de la guerre, avoue une chose. Ne pas encore avoir pleinement saisi les rouages des conflits qui ont déchiré la Côte d’Ivoire. C’est avec une humilité intellectuelle rare qu’elle nous invite à poursuivre la conversation. A aussi ne pas fermer les yeux sur les plaies encore béantes, à percer l’abcès qui gangrène la société ivoirienne. Cette œuvre, bien plus qu’un simple récit, est un cri du cœur, un appel à la réconciliation d’un peuple marqué par la douleur. Marqué également par le chagrin, et un traumatisme collectif difficile à surmonter.

Le livre raconte l’histoire de deux jeunes femmes, Flora et Yasmina, qui, en pleine adolescence, voient leurs vies bouleversées par la crise politique. Étudiantes en Côte d’Ivoire, elles sont témoins du basculement du pays dans un chaos inattendu. Pris dans la tourmente, leur destin bascule : Yasmina, originaire du Nord du pays, est contrainte de rejoindre sa famille, tandis que Flora, refusant de céder à la violence et au désespoir, s’exile en Afrique du Sud. Précisement à Johannesburg, où elle tente de reconstruire sa vie.

À travers ces deux personnages, Tadjo évoque la diversité de la Côte d’Ivoire, en particulier son attachement au Nord.

Une région qu’elle avait déjà sublimée dans son poème « Latérite » publié en 1982, et dans « Le Royaume aveugle, » en 1991. La crise post-électorale est abordée ici non seulement comme un événement politique, mais aussi comme une déchirure sociale et culturelle. Une cassure qui a privé de nombreux jeunes de leur avenir et de leurs rêves.

La politique, d’abord perçue comme une abstraction lointaine, s’infiltre sur les campus universitaires. Semant le chaos et brisant des trajectoires. Tadjo montre avec finesse l’impact dévastateur de ces événements sur la jeunesse. Soulignant l’importance de dire les choses telles qu’elles se sont déroulées, de ne pas travestir la réalité, pour mieux comprendre l’ampleur des dégâts.

L’exil, thème récurrent dans l’œuvre de Tadjo, est ici présenté sous un angle particulier : celui du déracinement intérieur. Flora, bien que physiquement loin de sa terre natale, ressent cette profonde étrangeté. Ce sentiment d’être en exil même dans son propre pays, un pays qu’elle ne reconnaît plus. L’autrice explore cette douleur de l’exil, ce besoin de se reconstruire une vie ailleurs, lorsque l’espoir s’évanouit chez soi. Cet état de déchirement intérieur est ce qu’il faut, selon Tadjo, absolument éviter. La littérature, bien qu’incapable de changer la trajectoire politique d’un pays, a le pouvoir de susciter une prise de conscience collective.

Tadjo exprime également son inquiétude face à l’avenir. À l’approche des élections de 2025, elle redoute la résurgence des rancœurs passées. Ce cycle infernal où chaque scrutin électoral devient synonyme de peur et de tensions. Elle déplore cette situation anormale où, à chaque élection, les Ivoiriens se sentent obligés de faire des stocks de provisions, par crainte du pire. Les élections, rappelle-t-elle, devraient être un processus démocratique serein, une solution et non un problème.

Ainsi, « Je remercie la nuit » n’est pas seulement un témoignage littéraire sur les conséquences de la guerre. Mais une réflexion poignante sur la nécessité de réconciliation, sur l’acceptation des différences. Et sur l’urgence de guérir les blessures profondes qui continuent de hanter la Côte d’Ivoire. Ce livre de Véronique Tadjo s’inscrit comme une œuvre majeure, non seulement pour sa valeur littéraire. Mais aussi pour sa contribution au débat nécessaire sur la paix et la cohésion sociale dans un pays encore marqué par les cicatrices du passé. On n’est pas étonné d’apprécier cet autre ouvrage.

ALEX KIPRE

photo: dr

POUVOIRS MAGAZINE

 

 

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