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Abidjan : une modernisation au détriment des plus vulnérables ?

DR Fatoumata Sako propose une analyse sur le bras de fer qui oppose la population et le régime au pouvoir. Ce qu’elle dit mérite attention. On l’écoute.

« Le degré de civilisation d’une société se mesure à la place qu’elle accorde à ses membres les plus vulnérables. » – Gandhi

Abidjan, la perle des lagunes, est en train de changer de visage. Sous les coups des pelleteuses destructrices de son nouveau et zélé Gouverneur Cissé Bacongo.

Cependant, cette modernisation soulève une interrogation cruciale : À QUEL PRIX SE FAIT-ELLE ?

Depuis plusieurs mois, le gouvernement, par le biais du District d’Abidjan, a lancé une série d’opérations de démolitions. Visant majoritairement les quartiers populaires, ainsi que les commerces et les restaurations informels fréquentés par les personnes à revenus modestes.

Ces actions, présentées sous le « noble » prétexte de moderniser et d’embellir la capitale, laissent des milliers de citoyens dans une situation de grande précarité.

Des démolitions qui violent les droits humains.

Ces opérations, souvent qualifiées de « déguerpissements », se déroulent sans préavis adéquat. Et sans aucun plan d’accompagnement social connu. Des familles entières se retrouvent soudainement sans abris, leurs maisons réduites en poussière. Ce qui constitue une atteinte insupportable à la dignité humaine et nous devons nous en indigner en écho avec les Ivoiriens touchés. Des opérateurs économiques dits informels qui sont, concurremment avec la fonction publique,  les plus gros employeurs de la cité se retrouvent brutalement déguerpis. Avec souvent la destruction sous leurs yeux de leurs outils , de leurs matériels et de leurs stocks.

Où est le  SOCIAL  dans tout ça ?

Il est frappant de constater l’absence quasi totale de mesures de soutien pour les personnes touchées par ces déguerpissements. De nombreuses victimes et des ONG témoignent que les autorités ne leur ont offert aucune alternative et qu’elles sont livrées à elles-mêmes. Ces familles, déjà en situation de précarité, sombrent encore plus dans la misère. Des milliers d’employeurs et d’employés virent, du jour au lendemain, dans le chômage et  dans la détresse sans aucune indemnisation ! Il n’est point difficile d’imaginer les conséquences sur leurs enfants et leurs familles.

Le manque de planification et de considération pour ces franges vulnérables de la communauté est criant et franchement inacceptable !

Un Impact économique désastreux même pour la nation entière

Les petites entreprises détruites étaient souvent les seules sources de revenus et de subsistance pour de nombreuses familles. La destruction de ces commerces informels accroît la pauvreté, les inégalités sociales et l’incivisme urbain qu’on prétend combattre. La destruction de ces petites affaires informelles a des répercussions profondes et étendues sur l’économie locale et nationale, affectant directement et négativement la stabilité économique, la résilience communautaire et le bien-être social.

Peut-on croire que nos dirigeants ignorent ces données socioéconomiques ? Non.

Abidjan, ville dynamique, veut-elle alors sacrifier ses citoyens les plus fragiles sur l’autel de la modernisation à pas forcés ? Et pour qui et pour quels intérêts ?

La réalité universelle des villes

Il est illusoire de croire qu’une ville peut être exempte de pauvres et de miséreux. Aucune grande ville au monde n’échappe à cette réalité. Partout, les autorités doivent composer avec les réalités sociales et économiques de leurs habitants. Prétendre qu’Abidjan pourrait être différente est non seulement irréaliste, mais dangereux. En excluant les pauvres, c’est la cohésion sociale elle-même qui est menacée. « On s’en fout » vraiment ? comme a dit l’autre ?

Veut-on cacher nos pauvres des regards des nouveaux nantis et de la fameuse communauté internationale ?

Tout semble fait pour déplacer les populations pauvres ou les isoler, afin de maintenir une apparence de modernité et de prospérité. Convenons que c’est une solution temporaire et superficielle qui ne résout pas les causes profondes de la pauvreté si tel était le dessein En fait, elle aggrave les inégalités et les injustices sociales. On n’efface pas la pauvreté comme on efface un écrit sur un tableau d’une salle de classe.

Une vision  déshumanisée du développement ?

La modernisation et l’embellissement de la capitale ne doivent pas se faire au détriment des habitants les plus vulnérables. Une ville moderne et prospère est avant tout une ville inclusive, où chaque citoyen, quel que soit son statut, trouve sa place et voit ses droits respectés. Nul n’est contre la modernisation, mais pas à ce prix ! Aider les pauvres à sortir de la pauvreté par leur développement est plus exigeant, mais c’est bien l’une des missions essentielles de tout gouvernement sérieux et social ! Cette mission est beaucoup plus durable et éthique. Elle implique des mesures comme l’aménagement des lieux  de vie, l’accès à l’éducation, la formation professionnelle, l’accès aux crédits ou aux services financiers, des services de santé, et des politiques économiques inclusives. L’idée étant de fournir aux populations les outils et les opportunités nécessaires pour améliorer leurs situations économiques et sociales de manière durable.

Un Appel à l’Action des pouvoirs publics, de l’opposition et de la société civile

Face à cette situation, il est urgent de suspendre toutes les opérations de démolitions en cours et de proposer un véritable plan de travail et d’accompagnement social. Les autorités doivent engager un dialogue avec les communautés locales pour trouver des solutions durables et inclusives aux problèmes d’urbanisation. Il faut arrêter de vouloir faire le bonheur des populations CONTRE elles-mêmes ! Il faut réorganiser et  restructurer les espaces. Les destructions doivent être exceptionnelles et nécessaires.

Il est en effet temps de penser à une Côte d’Ivoire où chacun a sa place, où chaque citoyen, quel que soit  son statut social, peut vivre dignement !

C’est un thème national qui interpelle tout le monde et que l’opposition , notamment, ne peut pas continuer à traiter pudiquement et sporadiquement.

Abidjan peut devenir une ville moderne et prospère sans sacrifier ses citoyens les plus vulnérables. Il est temps d’agir pour une Côte d’Ivoire plus juste et équitable.

RETENONS BIEN CE QUI SUIT :

« Le degré de civilisation d’une société se mesure à la place qu’elle accorde à ses membres les plus vulnérables. » – Gandhi

 Par Docteur Fatoumata SAKO

À Abidjan Abobo

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