POUVOIRS MAGAZINE vous propose le discours de l’Académicien sur la poésie
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Mesdames, Mesdemoiselles,
Messieurs,
Je ne vais pas faire un long discours.
Je ne parlerai brièvement que de la poésie et de l’engagement du poète.
La poésie est, selon le Dictionnaire Universel, « la forme d’expression littéraire caractérisée par une utilisation harmonieuse des sons et des rythmes du langage et par une grande richesse d’images ». Il n’y a donc pas de poésie sans images ni rythmes. En cela, elle se différencie de la prose.
Cependant, la substance d’un poème ne réside pas que dans la musique des mots, la profusion d’images. Elle se trouve aussi dans les idées exprimées, l’idéologie, la beauté du contenu d’un poème, c’est-à-dire dans la positivité de celui-ci.
Mao Tsé-Toung a raison d’écrire : « il n’existe pas dans la réalité d’art pour l’art, d’art au-dessus des classes, ni d’art qui se développe en dehors de la politique ou indépendamment d’elle ».
To Huu , le grand poète vietnamien, ajoute : « Tout est lié à la vie. L’éthique et l’esthétique vont de pair…
Le temps est pour une nouvelle poésie qui sache allier l’épique et le lyrique, le personnel et le général. Il n’y a plus de limite entre l’individu et la société, c’est l’homme social, la poésie de l’homme social » qui comptent.
Somme toute, la poésie est, suivant l’expression de Tristan Tzara, « plongée jusqu’au cou dans l’histoire ». Foin donc de l’esthétique !
Le poète, partie intégrante du peuple, doit exprimer les peines, les joies de ce dernier, son combat libérateur.
L’artiste africain a à lutter contre les impérialistes, les colonialistes, les néo-colonialistes et leurs agents.
Il lui faut défendre sa culture nationale, l’enrichir, la rendre progressiste, consacrer ses œuvres au combat de tous les exploités pour une vie meilleure.
Le poète défriche, trace une voie nouvelle, sème des graines qui germeront pour donner naissance à une forêt et une savane neuves.
Il engendre une aube inouïe. Comme le politique, le poète témoigne du passé, tisse le présent et prépare l’avenir.
Il a la nostalgie d’un matin, d’une vie à venir.
La poésie se veut rythme, images éclatantes, musique, intensité du sentiment, profondeur de la pensée.
Le poète africain, fils d’un peuple dominé, et, fréquemment, d’une classe exploitée, doit participer à la lutte pour la libération de ce peuple, de sa classe. Cette lutte, c’est donc celle de tous les opprimés, exploités.
Au lieu de rechercher une vaine immortalité, il a à contribuer à l’amélioration des conditions d’existence du peuple auquel il appartient.
Aussi, non sans raison, Jean-Paul Sartre écrit-il : « L’art ne peut se réduire à un dialogue avec des morts et avec des hommes qui ne sont pas encore nés… »
L’œuvre doit être une arme dans le combat que les hommes mènent contre le mal.
L’art a sa vérité absolue dans l’époque. Il est vécu comme une émeute, comme une famine. C’est un lieu vivant de rage, de haine ou d’amour entre ceux qui l’on produit et ceux qui le reçoivent. Les livres qui passent d’une époque à l’autre sont des fruits morts. Il faut écrire pour son époque. Ecrire pour l’époque, ce n’est pas la refléter passivement, c’est vouloir la dépasser vers l’avenir, non vers l’immortalité ». Cheikh Anta Diop renchérit en affirmant :
« L’Art doit toujours être l’art de son époque, c’est-à-dire au service de la société qui l’a engendré.
C’est donc de l’examen des besoins les plus pressants du peuple africain à l’état actuel, que devra découler, qu’on le veuille ou non, la nouvelle orientation de notre art ».
Les poètes José Marti, Mao Tsé-Toung, Hô Chi-Minh, Pablo Néruda, Nazim Hikmet, Agostinho Neto, pour ne citer que ceux-là, ont largement participé à la lutte libératrice des peuples. Parfois, ils gémissent, mais ils ne doivent pas trop pleurer ; il leur faut continuer vaillamment leur combat.
La poésie est l’art suprême. Tous les autres arts en émanent. Il ne peut y avoir une véritable musique, une peinture et une sculpture sérieuses qui ne soient poétiques.
La poésie enrichit tous ces autres arts, les influence, et réciproquement. Certains poètes, comme d’autres artistes, s’efforcent de contribuer à la libération des peuples, à leur développement qui est politique, économique, social et culturel. Aussi s’engagent-ils indubitablement. Que signifie engagement ?
Depuis Jean-Paul Sartre, l’engagement littéraire, artistique se présente comme l’attitude d’un écrivain dont l’œuvre se met au service d’une cause progressiste ; cela veut dire qu’il y aurait une littérature « désengagée », littérature qui ne servirait aucune cause et qui serait opposée à la littérature engagée. Cela ne semble pas vrai.
A rebours du philosophe existentialiste, Mao Tsé-Toung affirme, non sans raison « qu’il n’y a pas d’art pour l’art, que l’art sert une politique ». Il est donc toujours au service d’une cause, d’une idéologie.
La littérature, qui se veut une branche très importante de l’art, sert, selon nous, deux causes dont l’une est individualiste, et l’autre sociale.
Il y a donc deux sortes d’engagements.
L’écrivain est engagé soit à droite, soit à gauche.
Engagé à droite, il se prend pour le nombril du monde ; Il s’agrippe à ses intérêts égoïstes. Il n’exprime que les sentiments des gens qui adhèrent à sa classe. Il est soit un aristocrate, soit un bourgeois.
Voilà qui explique son conservatisme effréné, lequel s’oppose farouchement à la conviction progressiste de l’artiste de gauche.
Réactionnaire, le premier s’oppose fermement au deuxième.
Le second et bel engagement, celui de gauche, célèbre, pour employer l’expression de Charles Nokan, « la main près de mains saines, le cœur auprès des cœurs propres ».
L‘écrivain de gauche exalte la « camaraderie », la fraternité, le combat du peuple, combat qui débouchera tôt ou tard sur la libération de ce peuple…
L’art n’est point gratuit. Même si ce dernier se veut ludique, il ne chatouille que les sentiments de ceux qui l’exercent et des membres de leur classe qui en jouissent…
La plupart des poètes et des autres artistes de droite ne traduisent que leurs « petites idées », leurs tics. S’ils sont croyants, ils prient tout en ne cessant point de faire le mal…
Ils disent la beauté de leur paradis, et leur espoir d’y parvenir quelque jour. Ils pensent que la prière leur permettra d’être « sauvés » malgré leurs monstruosités.
Près d’eux, le peuple peut mourir de faim ; ils n’en ont cure. Seuls valent leurs intérêts et leur « salut ». Ils exploitent les travailleurs, oppriment les masses populaires.
Contrairement à ces artistes, ceux de gauche se trouvent au sein du peuple ; ils dépeignent ses peines, les affres de son existence, ses joies rarissimes.
Ils participent à sa lutte émancipatrice, libératrice.
Chaque engagement a une couleur singulière. Le poète, par exemple ; s’engage soit à chanter son individualisme, soit à magnifier le combat du peuple qu’il soutient avec conviction.
Au contraire de l’artiste réactionnaire, le progressiste se trouve toujours dans les masses populaires. Sa voix véhicule les cris de tous les opprimés, exploités.
A la poésie, une dialectique implacable lie les autres arts.
La poésie danse ; elle est musique, peinture, sculpture, source de vie.
Pour conclure, en poésie ainsi que dans les autres arts, il y a deux sortes d’engagements. La première, de droite, est souvent malveillante, la seconde, de gauche, se veut belle et juste. Il n’y a pas d’art « désengagé ». Donc, tout artiste s’engage soit à droite, soit à gauche. Ne pas se vouloir engager, c’est, pour ainsi dire, l’être intégralement. L’engament droitier est négatif, celui de gauche positif.
Somme toute, l’art sert deux causes ; l’une est sombre, mauvaise, l’autre bonne radieuse.
La grande poésie se veut la source merveilleuse, la sublime fleur très odorante, la substance éthérée de tous les arts.
Les sonorités agréables des mots simples d’un poème s’adressent aux honnêtes gens amoureux de la beauté pure et combative…
Je vous remercie bien vivement
CHARLES NOKAN
Pouvoirs Magazine